Le folklore en Hurepoix, Mœurs et coutumes en Ile de France

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Préface

Etes-vous du Hurepoix ? Sommes-nous ici dans le Hurepoix ? Savez-vous où commence et où finit le Hurepoix ?

Telles sont les questions que nous avons posées pendant toute la durée de notre enquête à toutes les personnes que nous rencontrions. Le résultat a été 1) que le terme est à peu près universellement connu et employé dans une certaine région de la Seine et de Seine-et-Oise 2) que les limites qu’on nous a indiquées sont relativement fixées et coïncident presque avec une sorte de région naturelle qui engloberait le territoire vallonné situé entre la Seine et les petites hauteurs d’où viennent la Bièvre, l’Yvette, la Remarde et l’Orge. Mais on doit comprendre, en outre, dans le territoire nommé Hurepoix par ses habitants, le cours inférieur de l’Essonne, avec un fragment de son affluent la Juisne ; et un morceau du département de Seine-et-Marne qu’arrose l’Ecole.

C’est plutôt la disposition hydrographique que la répartition administrative qui caractérise le Hurepoix. Lorsqu’on est en possession de cette clef, on constate que l’aspect esthétique du paysage correspond à l’impression populaire ; et que le Hurepoix cesse au commencement des grandes plaines nues de la Beauce, d’une part, au territoire des forêts denses de l’autre, restes de l’ancienne forêt gauloise qui s’étendait depuis l’Ille-et-Vilaine jusqu’en Flandres et qui a été découpée peu à peu en petits morceaux.

Ainsi se trouve résolu un problème qui avait déjà intrigué les géographes du XVI siècle et dont la complexité avait fait dire à Piganiol de la Force dans la troisième édition (1754) de sa Nouvelle Description de la France

" On ne peut rien voir de plus opposé que le sont nos géographes sur les limites de ce petit pays (le Hurepoix) et par conséquent sur les villes qui sont dans son étendue. Après s’être bien fatigué pour fixer ces limites, on en est aussi incertain qu’auparavant et si on avait eu le bonheur d’y réussir, sans doute que la gloire de la découverte n’égalerait pas la peine de la recherche. On place dans le Hurepoix Dourdan, Châtre ou Arpajon, Montlhéry, Linas, Longjumeau. "

Il va de soi que Piganiol avait consulté, pour cette troisième édition, les cartographes de son temps, dont les cartes, bien analysées par L. Gallois , étaient contradictoires ; et il ne laisse pas entendre qu’il ait fait une enquête en personne, bien que dans son Introduction il affirme qu’il a toujours tenté de contrôler, par des observations sur place, ce qui avait été imprimé antérieurement. La formule désenchantée de Piganiol semble avoir réagi sur L.Gallois, qui déclare :

1) Que le nom de Hurepoix n’est pas un nom de pays ceci veut dire qu’en effet ce nom ne correspond pas à celui d’un pagus principal ou secondaire gallo-romain, ni à un diocèse mérovingien , ni à un mandement carolingien.

2) Que " la région naturelle qu’il désignerait n’a d’unité que dans l’esprit du savant ; et quant à cet autre caractère que doit posséder tout nom de pays, d’être vraiment populaire, il ne l’a à aucun titre. "

Mais une enquête, faite plus de deux cents ans après celle de Piganiol, et près d’un demi-siècle après celle de Gallois, prouve le contraire. Les " savants " n’ont pas pu réagir sur les populations rurales auxquelles nous avons eu affaire ; car ces populations ignorent les cartographes anciens et n’apprennent pas le nom de leur pays dans les manuels scolaires.

D’ailleurs, au cas même où le nom de ce pays serait d’origine artificiel, nous voulons dire " savantes, il nous importe peu. Ce qui nous importe, c’est que populairement le nom a pris racine au point que la plupart de nos témoins n’ont guère hésité pour nous dire que tel village (chef-lieu ou hameau) était dans le Hurepoix. Pour certaines localités de la région la plus méridionale existent parfois des expressions vagues comme Haute-Beauce ou Petite-Beauce, d’ailleurs marquées sur quelques cartes. La limite litigieuse semble aller à Saint-Martin-de-Bréthencourt, par Villeconin, à Etréchy.

De toutes les cartes consultées, celle que nous avons préférée comme base d’étude est celle de Robert, datée de 1754. Il va de soi, comme on vient de le signaler, que sur la zone limite il y a parfois des flottements le principal est celui qui concerne le petit fragment triangulaire de Seine-et-Marne, arrosé par l’Ecole. Trop éloigné de notre lieu d’habitation, Châtenay, nous n’ avons pu y obtenir des précisions suffisantes pourtant, que Saint-Fargeau soit encore dans le Hurepoix, paraît probable.

On notera que l’enquête directe a été conduite sur ce point spécial avec méthode ; et que nos constatations ne sont pas dues au hasard. Sans doute, le Hurepoix n’a jamais été une unité historique ; on ne peut le regarder que comme relativement identique à une région naturelle administrativement, il est sectionné entre deux départements et divisé eu plusieurs cantons qui n’ont que peu d’intérêts communs ; la séduction exercée à tous les points de vue par Paris a modifié beaucoup de conditions sociales ; les immigrés qui ont colonisé peu à peu tout Paris sud ont relégué les e indigènes " à l’arrière-plan. Mais nous avons toujours tenu compte de ces facteurs de variations et de modifications, et choisi nos témoins et informateurs parmi ceux qui appartenaient à de vieilles familles locales. Ainsi, à Villejuif, véritable ville nouvelle, nos témoins principaux possédaient une généalogie qui prouvait le séjour sur place de leur famille dans les deux lignes depuis 321 ans, avec papiers officiels à l’appui. On peut même admettre que beaucoup de familles rurales interrogées remontent directement à l’époque gallo-romaine, sinon même plus haut.
 
 

Nous avons commencé par appliquer au Hurepoix les questionnaires savoyards d’A. van Gennep, en partant des environs immédiats de notre commune (Châtenay) Fontenay-auxRoses, Sceaux, Le Plessis-Robinson, Bagneux et Antony. Les conditions et les progrès de l’enquête locale nous ont obligés à modifier peu à peu ces questionnaires sur un grand nombre de points. Nous en avons alors rédigé un spécialement valable pour le Hurepoix, sans crainte de montrer notre carnet aux personnes interrogées.

Nous avons même constaté (et cette observation pourra être utile à d’autres) que les gens regardaient ce carnet de questions avec intérêt et se demandaient quelles seraient celles que nous poserions ensuite. Il n’y a donc pas lieu, au moins dans ces régions, de cacher ce qu’on veut faire; nous n’avons jamais dissimulé que nous comptions, avec les réponses obtenues, rédiger des articles ou même écrire un livre sur le Hurepoix.

Ce questionnaire a été enrichi au fur et à mesure de l’expérience acquise. C’est ainsi qu’en moins d’un an nous avons pu recueillir tant de matériaux directs, dont quelques-uns sont une véritable révélation folklorique, surtout à proximité de Paris.

Ce terme de " proximité s prête d’ailleurs à discussion. Même à quelques kilomètres des fortifications disparues nous avons obtenu du document vraiment rural ; par exemple à Villejuif et à Bagneux. Ceci tient à ce que les promeneurs du dimanche et des jours de fête n’entrent pas en contact avec la population locale proprement dite. Depuis la guerre, la zone autochtone, pour ainsi dire, a diminué de plus en plus; les lotissements à bon marché ont déterminé une si forte infiltration d’étrangers que les "indigènes s ont commencé à trouver ridicules leurs cérémonies traditionnelles. Ce mouvement s’accentue de plus en plus et on peut prévoir le moment où les vallées tout entières de l’Yvette, de la Remarde, et de l’Orge auront perdu leurs caractères folkloriques.

Il a donc fallu découvrir dans chaque commune, parfois dans chaque hameau, les membres des familles vraiment du pays. Nous y avons été aidés par les maires, les secrétaires de mairie, les aubergistes et par des personnes rencontrées dans les champs ou sur les routes.

Nos explorations ont été faites à bicyclette, ce qui nous a permis de couvrir chaque jour un territoire étendu, de suivre les petits sentiers et de parvenir même aux fermes isolées.

Les témoins proprement dits, c’est-à-dire ceux qui nous ont fourni un grand nombre de réponses systématiques, ont été au nombre de 338 ; ces témoins sont répartis entre 170 communes. On doit y ajouter une centaine au moins de témoins qui ne nous ont fourni que des fragments d’information. En moyenne, nous avons consacré cinq jours entiers par semaine à nos recherches, de septembre 1935 à juin 1936. Souvent, il a fallu revenir plusieurs fois dans la même localité pour recouper ou pour contrôler des renseignements contradictoires. Ce que nous donnons peut être accepté tel quel, avec toutes les garanties scientifiques nécessaires. Pour les difficultés théoriques, nous avons eu recours à notre maître et ami Arnold van Gennep, dont on connaît la vaste érudition et les méthodes impartiales.

Cependant, ce que nous donnons au public est loin de correspondre à la totalité absolue des faits. Non seulement la maladie grave qui atteignit l’un de nous et lui imposa un séjour en Savoie, fit cesser l’enquête brusquement; mais les distances à parcourir en bicyclette depuis chez nous jusqu’aux limites du Hurepoix devinrent peu à peu trop pénibles. De sorte que malgré notre désir, il reste quelques communes inexplorées.

A quoi s’ajoute le fait que parfois nous nous heurtâmes à des résistances invincibles, soit que notre apparence de " jeunes messieurs " voués à un travail sans profit financier parût étrange ; soit que la réticence naturelle aux ruraux fût plus forte que le désir de dire ce qu’on sait. Ces réticences ont été puissantes surtout en ce qui concerne la magie et la médecine populaires, bien que nous ayons obtenu une liste imposante de guérisseurs plus ou moins avoués.

Le plus souvent, en nous faisant passer pour des journalistes, en chasse de copie, nous avons été bien accueillis ; niais d’autres fois, ce titre nous a valu des échecs.

C’est pourquoi nous ne présentons cet ouvrage que comme quelques échelons d’une œuvre qu’il conviendrait d’achever. Si les circonstances nous sont favorables, nous le ferons. Mais d’autres aussi, maintenant qu’une base de travail existe, pourront prendre à cœur de combler les lacunes que nous ont imposées des nécessités imprévues ; ou nous communiquer, pour une nouvelle édition plus complète, des documents qu’il nous a été impossible d’obtenir.

Telle quelle déjà, notre moisson est très riche, beaucoup plus riche que nous ne l’espérions en commençant. Le raccord se trouve ainsi établi avec le folklore de la Beauce, qui lui- même se raccorde au folklore du Perche et de la Normandie. Nous espérons que ce volume servira de modèle à ceux qui voudraient explorer de la même manière les terres inconnues que sont encore le pays de Mantes, celui de Rambouillet et celui de Fontainebleau, ainsi que les cantons de l’Eure-et-Loir, qui sont limitrophes du Hurepoix.

Celui-ci englobait autrefois certains quartiers de Paris, qui ont perdu, de nos jours, leur autonomie administrative et leur population indigène. En principe, le Hurepoix se limitait à la Seine. Nous aurions pu adjoind1e à notre exposé tous les documents folkloriques anciens qui concernent la Rive Gauche, au moins jusqu’à Grenelle.

Mais c’était faire appel à des documents historiques dont on est rarement certain qu’ils possèdent une valeur strictement locale. Dans certains cas, lorsque la localisation était assurée, nous avons cité des ouvrages sur Paris notre bibliographie témoigne que nous n’avons nullement fait fi de l’Histoire. Mais notre but principal était de courir les campagnes et non pas les bibliothèques et de sauver (le l’oubli les croyances et les coutumes que la formation du Grand Paris réduira au sort qu’ont subi déjà les croyances et coutumes de Chaillot et du quartier Saint-Germain, de la Glacière et du Petit Montrouge, puis du Grand Montrouge, d’Ivry et de Bicêtre.

Il nous semble même au contraire que nos documents contemporains aideront à comprendre certains documents historiques de la Rive Gauche d’une interprétation difficile, en se replaçant dans l’état d’esprit où se trouvait le peuple du Paris de Philippe-Auguste, alors que la ville cessait à la Montagne Sainte-Geneviève et que les grands couvents de la Rive gauche comprenaient d’énormes propriétés cultivées dont les jardins au long de la rue de Babylone sont l’un des derniers souvenirs.

Hélas Dans notre région aussi, jadis couverte de vignobles, et où l’on se rendait en parties de chasse, les bois disparaissent devant les maisons, les indigènes devant les envahisseurs, les coutumes populaires devant le nivellement universel.

Nous adressons nos sincères remerciements aux témoins et informateurs, dont les noms suivent, qui ont bien voulu répondre aux nombreuses questions que nous leur avons posées, et qui n’hésitèrent pas à interrompre leurs occupations, parfois pendant plusieurs heures.

CLAUDE et JACQUES SEIGNOLLE.
(Châtenay-Malabry, le 11 novembre 1936.)

Cette préface est tirée du livre de Claude et Jacques Seignolle
" Le folklore en Hurepoix, Mœurs et coutumes en Ille de France ".
Ce livre est paru aux éditions G.-P. Maisoneuve et Larose en 1978 d’après l’édition
originale écrite en 1936 sous le numéro ISBN 2-7068-0661-3